Être ou ne pas être Marie-Antoinette '' Coupure du programme RénoRégion

Depuis 55 ans, Élise et Maurice vivent dans une maison mobile au bout d’un rang, à l’intérieur des terres gaspésiennes. Ce n’est pas un palace, ça tombe un peu en ruines, mais depuis 55 ans, c’est leur maison et ils y sont bien.

HISABELLE HACHEY, LA PRESSE
April 7, 2025

Ils ont gagné leur vie sans jamais rien demander à personne. Maurice*, 87 ans, a longtemps travaillé au service à la clientèle de diverses entreprises. Élise*, 84 ans, a gardé les enfants du patelin.

Parmi ces enfants, Bruno Paradis, qui une fois adulte est devenu maire de Price et préfet de la MRC de La Mitis. C’est lui qui raconte l’histoire du couple d’octogénaires, avec sa permission.

Maurice et Élise n’ont pas de grosses économies. Alors, quand la maison mobile du bout du rang a eu besoin de travaux, ils se sont tournés vers RénoRégion, un programme qui permet aux citoyens à faibles revenus de rénover leur domicile dans les régions les plus dévitalisées du Québec.

On ne parle pas de construire un patio pour la piscine. On parle d’une toiture qui coule, d’un puits contaminé par la fosse septique, d’un système électrique présentant un danger d’incendie.

Bref, on parle de travaux qui ne coûtent pas une fortune, mais qui sont nécessaires pour continuer à habiter une maison – et que le propriétaire n’a pas les moyens de se payer.

Ce programme ne coûte pas grand-chose à la société québécoise : 19 millions de dollars, sur un budget annuel de 165,8 milliards. Les subventions accordées sont modestes, mais pour beaucoup d’aînés en régions rurales, ces quelques milliers de dollars peuvent faire toute la différence entre partir et rester.

Bref, ce programme fait des miracles, assure Bruno Paradis. Un miracle auquel Maurice et Élise n’auront pas droit : dans une regrettable logique d’économie de bouts de chandelles, le gouvernement du Québec a suspendu le programme RénoRégion dans son plus récent budget.

Bruno Paradis est choqué. Indigné. Il pense aux milliards engloutis dans Northvolt et dans SAAQclic. Et pour économiser 19 millions, une goutte d’eau dans le budget, on élimine un programme qui aide vraiment les plus vulnérables de la société !

« Pour 19 millions, dit-il, on empêche les personnes âgées de se maintenir à domicile, alors que dans le discours officiel, on ne cesse de dire à quel point ce maintien est important. En plus, on met de la pression sur des résidences pour aînés déjà peu nombreuses et qui coûtent beaucoup plus cher la porte… »

Sous le feu des critiques, la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, a promis la construction de « logements modulaires », c’est-à-dire des immeubles regroupant des dizaines d’appartements à prix modique.

Cette solution n’a rien fait pour calmer Bruno Paradis et d’autres élus, tout aussi indignés que lui, aux quatre coins du Québec.

C’est une aberration. On va mettre les personnes âgées dans des cubicules, en cage…

Bruno Paradis, maire de Price et préfet de la MRC de La Mitis

La santé d’Élise et de Maurice déclinera-t-elle si on les force à quitter la maison où ils ont élevé leurs enfants, où ils ont tous leurs souvenirs ? « Ils sont encore actifs et s’impliquent dans leur milieu. Les placer, c’est aberrant et immoral », insiste Bruno Paradis.

Et puis, ces logements modulaires n’existent pour l’instant que sur papier. Qu’est-ce qu’on fait avec les propriétaires dont la maison a un besoin urgent de travaux ? On les jette à la rue, en pleine crise du logement ? En fin de compte, l’abolition de ce programme risque de coûter beaucoup plus que 19 millions.

« On s’attaque aux plus pauvres d’entre nous, dénonce Bruno Paradis. Si le gouvernement coupait un crédit d’impôt aux entreprises, le patronat appellerait directement le premier ministre pour se plaindre. Mais ces gens-là n’ont pas leurs entrées dans les ministères. Leurs voix ne portent pas dans la sphère publique. »

Cette fois, pourtant, la ministre Duranceau semble avoir compris le message. « Sachez que je suis sensible aux effets de la fin du programme et que mon intention est de régler cette situation rapidement », a-t-elle écrit sur X, vendredi. Il ne serait pas étonnant de voir le gouvernement reculer – et ce serait grâce aux élus locaux comme Bruno Paradis, qui ont prêté leurs voix à ceux qui n’en avaient pas.

Les esprits se sont échauffés lors d’un débat sur les hausses de loyer à l’Assemblée nationale, jeudi, quand la porte-parole solidaire, Ruba Ghazal, a traité France-Élaine Duranceau de « Marie-Antoinette des pauvres ».

C’était baveux, j’en conviens. Malheureusement pour Mme Duranceau, ça colle assez bien à l’image qu’elle traîne comme un boulet depuis son élection.

Celle d’une ministre qui porte des Louboutin pour annoncer de nouveaux logements sociaux et qui a déjà déclaré que si un locataire voulait céder son bail, « qu’il investisse en immobilier ! »

Prononcé en 2023, ce bout de phrase faisait écho au fameux « S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche ! », attribué à une reine déconnectée au point d’être incapable de concevoir que, si les classes populaires manquaient de pain, c’est parce qu’elles n’avaient pas les moyens de s’en procurer.

Mme Duranceau s’est défendue à l’Assemblée nationale, affirmant qu’attaquer les gens comme l’a fait Mme Ghazal était « complètement inutile » et que Québec solidaire n’avait « pas le monopole de l’empathie ».

Je ne doute pas que la ministre Duranceau n’ait rien d’une Marie-Antoinette et qu’elle puisse être capable d’empathie. Rétablir le programme RénoRégion sera une occasion en or d’en faire la preuve.

* Noms d’emprunt, pour protéger l’identité du couple

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