La construction massive n’est pas suffisante pour régler la crise du logement, selon l’IRIS

La construction massive de logements neufs par le secteur privé ne suffira pas pour remédier à la pénurie et aux problèmes d’abordabilité auxquels font face particulièrement les ménages moins nantis, prévient une étude de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS). Encore faut-il que ce soit le bon type de logements qui soient construits, et qu’ils viennent avec une forme de régulation des prix.

Valérian Mazataud Le Devoir
June 12, 2025

Depuis des années, les pouvoirs publics s’appuient largement sur une théorie lorsqu’il est question de répondre au besoin de logements. Appelée « filtrage » ou « effet de cascade », cette théorie veut qu’il suffise de construire un nombre suffisant d’unités d’habitation pour que le partage de ce parc immobilier se fasse ensuite presque naturellement en fonction des besoins et des moyens financiers des uns et des autres. Mais en réalité, cette logique ne fonctionne pas tout le temps et peut même aggraver le problème, notamment pour les ménages aux revenus plus modestes, conclut l’étude de l’IRIS dévoilée jeudi.

Aux prises avec un marché immobilier où les logements sont de plus en plus rares et chers, les Canadiens en auraient besoin de plus de 3,5 millions supplémentaires d’ici 2030, dont 860 000 seulement au Québec, estimait la Société canadienne d’hypothèques et de logement en 2023.

« Quand bien même on réussissait à construire les 3,5 millions d’unités nécessaires […] pour remédier à la crise, sans un meilleur contrôle des loyers et sans logements sociaux, il sera impossible de rétablir l’abordabilité dans le secteur de l’habitation au Canada, a déclaré dans un communiqué Hélène Bélanger, professeure du Département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM et coautrice de l’étude d’une quinzaine de pages. Une politique de l’habitation qui se fonde uniquement sur la construction de nouvelles unités, sans égard aux besoins et à la capacité des ménages, est vouée à l’échec. »

C’est que, laissé à lui-même, le secteur privé construit généralement des logements destinés aux ménages les plus aisés. La théorie « du filtrage » dit qu’en déménageant dans ces nouvelles résidences, ces ménages libéreront des logements un peu plus vieux et un peu moins chers à des ménages un peu moins fortunés, et que ces derniers feront de même au profit de familles plus modestes, et ainsi de suite.

Cascade imaginaire

Mais cette soi-disant cascade vertueuse est, justement, largement théorique et elle ne correspond souvent pas à la réalité sur le terrain, rapporte l’IRIS.

Ainsi, les logements libérés dans les quartiers les plus prisés et centraux sont plutôt remis au goût du jour et ne sont pas moins chers que du neuf. Dans le cas du marché locatif, c’est même le contraire qui se produit, les propriétaires profitant souvent du départ d’un locataire pour augmenter le loyer. Les ménages moins nantis se retrouvent ainsi graduellement repoussés vers des quartiers de plus en plus périphériques, où les services essentiels sont plus rares et les temps de déplacement sont plus longs.

Et lorsque les loyers ne sont pas augmentés, c’est souvent parce que les lieux sont négligés par leurs propriétaires et de plus en plus insalubres.

Tous les propriétaires ne libèrent pas toujours non plus un logement lorsqu’ils en achètent un nouveau, poursuit l’IRIS. Il leur arrive de le garder comme résidence secondaire ou comme logement pour de la location à court terme de style Airbnb.

Et puis, il y a généralement un tel écart entre ce que construisent les promoteurs privés (des logements d’une chambre ou deux typiquement destinés à des professionnels nantis) et les besoins de ceux qui font face à la rareté de logement la plus aiguë (comme des familles plus modestes avec enfants qui nécessitent de plus grands espaces) qu’on en espère beaucoup trop du fameux « effet de cascade ».

Déresponsabilisation

« Cette théorie ne fonctionne juste pas, a résumé en entretien au Devoir l’autre coauteur de l’étude, Yaya Baumann, chercheur à l’IRIS. Elle permet seulement aux gouvernements de se déresponsabiliser face aux problèmes d’abordabilité du logement. »

Pour répondre au problème, dit-il, on a besoin du secteur privé et de la logique de marché, mais aussi du secteur public et des acteurs de l’économie sociale pour construire d’autres types de logements (logements sociaux, coopératives, etc.) visant à répondre aux besoins des ménages en situation précaire. Il faut aussi de meilleurs mécanismes voués à prévenir la hausse abusive des loyers, comme un registre des loyers.

Actuellement, l’intervention des gouvernements se traduit souvent par des mesures d’aide qui bénéficient aux ménages de la classe moyenne plutôt qu’aux familles moins nanties, déplore Yaya Baumann. « C’est du gaspillage d’argent public. Ce dont on a vraiment besoin, c’est de construire mieux. »

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