
En moins de 10 ans, le village madelinot de Grande-Entrée a été le théâtre d’un petit miracle : le nombre d’élèves à l'école primaire est passé de 13 à 49.
Le soleil inonde la classe de maternelle de l'école Notre-Dame-du-Sacré-Coeur de Grande-Entrée un mercredi avant-midi d'automne. Pas moins de 14 élèves de 4 et 5 ans chantonnent en bricolant. La scène peut paraître banale, mais elle ne l'est pas.
En 2016-2017, l'école de Grande-Entrée comptait 13 élèves, tous niveaux confondus. Aujourd'hui, la classe de maternelle à elle seule en compte davantage.
En moins d'une décennie, le nombre d'élèves a presque quadruplé, une remontée spectaculaire pour un village qui compte quelque 650 personnes.
Celle qui enseigne à l'école de Grande-Entrée depuis près d'un quart de siècle se remémore l'époque difficile où elle a dû enseigner trois niveaux en même temps, tellement les enfants étaient peu nombreux.
C’est plus vivant, lance-t-elle. L’école est devenue plus dynamique et l’école, c’est le cœur du village.
La fermeture de l'école figurait parmi les scénarios il n'y a pas si longtemps, mais la communauté de Grande-Entrée a réussi un véritable tour de force en retrouvant un nombre d'élèves similaire à celui d'il y a 20 ans.
«On ne souhaitait pas que cette école ferme parce que, géographiquement parlant, elle est très isolée, rappelle la directrice du Centre de services scolaire des Îles, Isabelle Gilbert.»
Le bourdonnement incessant de la classe de maternelle est le reflet d'un village qui s'est enrichi de nombreuses jeunes familles dans les dernières années.
Il a commencé à pousser des maisons, on voit des poussettes, des vélos d’enfants, souligne l'enseignante et résidente de Grande-Entrée, Sandra Chevarie. Ça a vraiment été un retour des jeunes dans le village, des familles dynamiques qui venaient s’installer. Parallèlement, le nombre d’élèves augmentait à l’école.
Les enfants anglophones, issus du village voisin de Grosse-Île, sont également plus nombreux à fréquenter l’école francophone de Grande-Entrée. Ils n’étaient que deux il y a six ans, ils sont désormais neuf à grossir les rangs de l'école Notre-Dame-du-Sacré-Coeur.
À environ deux kilomètres de l'école, Sabrina Clarke profite d'une des dernières belles journées d'automne pour marcher avec son bébé Thomas, né il y a à peine un mois.
Native de Fatima, sur l'île centrale, à 45 minutes de route, la jeune femme a décidé de suivre son conjoint originaire de Grande-Entrée pour y fonder une famille.
«Il ne fait aucun doute que son petit Thomas pourra fréquenter l'école du village. C’est quand même encourageant, il y a 10 ans, l’école était menacée de fermeture, souligne la jeune maman. C’est tout un changement, il y a vraiment plus d’enfants, c’est le fun de voir que des gens déménagent à Grande-Entrée et élèvent leur enfant ici.»
Sabrina Clarke l'avoue sans gêne. Elle avait des préjugés envers la communauté isolée de Grande-Entrée avant de s'y établir.
J’ai grandi à Fatima et ça a toujours été un peu négatif l’image de Grande-Entrée, je trouvais que c'était loin et qu'il n’y a rien à faire là-bas, dit-elle. Quand j’ai déménagé, j’ai redécouvert Grande-Entrée d’une autre façon. Il y a plein de sentiers, l’esprit de communauté; tout le monde se tient ici. Dès qu’il y a une activité, tout le monde participe.
Grande-Entrée est le secteur des Îles-de-la-Madeleine où la valeur des maisons a le plus augmenté, selon le rôle triennal d'évaluation 2026-2028, avec une hausse de 126 % par rapport à l'exercice 2023-2025.
Signe de vigueur économique pour certains, la situation suscite néanmoins des inquiétudes pour d'autres qui appréhendent une hausse de taxes marquée et un accès plus difficile à la propriété.
La valeur moyenne des maisons de Grande-Entrée, qui s'élève maintenant à près de 292 000 $, reste toutefois en deçà de la valeur moyenne d'une résidence aux Îles-de-la-Madeleine qui s'élève à 352 000 $.
Le retour des poussettes, la hausse de la valeur des maisons et les dernières années records dans la pêche au homard ne sont pas les seuls signes du dynamisme renouvelé de Grande-Entrée.
Cet été, le bar laitier Le Ptit Cassô a ouvert ses portes grâce à l'initiative de trois mères de famille qui souhaitaient créer une entreprise qui serait un lieu de rencontre pour toutes les générations.
On était toutes des personnes qui voulaient faire un changement à la Grande Entrée, on voyait qu’on perdait des services, indique la copropriétaire du Ptit Cassô, Katherine Cyr. On ne pouvait pas laisser ça comme ça, on voulait faire une différence.
«Le premier été d'ouverture de la petite crémerie fut un succès retentissement
On a eu que du positif, je le dis et j’ai de gros frissons, lance Mme Cyr. C’était vraiment rassembleur, c’était beau à voir, on voyait tous les enfants jouer ensemble, les parents parlaient ensemble pendant que les enfants s’amusaient.»
Fille d'un Madelinot, Katherine Cyr a grandi à Repentigny. Elle croyait y faire sa vie jusqu'à ce qu'elle tombe amoureuse d'un garçon de Grande-Entrée. Comme le veut l'adage, qui prend mari, prend pays.
Katherine Cyr a donc déménagé à Grande-Entrée avec son conjoint en 2017. Ils y ont construit une maison et ont eu deux fils, Loïc et Liam, qui fréquentent l'école Notre-Dame-du-Sacré-Coeur.
Depuis, le frère de Katherine, qui s'est épris d'une Madelinienne de Grande-Entrée, a aussi déménagé dans le village avec sa progéniture. Les parents de Katherine ont suivi, de même que leur grand-mère paternelle. Bref, la famille Cyr fait partie du sang neuf qui fait vibrer Grande-Entrée.
En plus de maintenant pouvoir apprécier de bonnes glaces du Ptit Cassô durant l'été, les gens de Grande-Entrée pourront bientôt profiter d'un autre type de glace. La patinoire du village est sur le point de se refaire une beauté.
Constatant une forte fréquentation de l'endroit l'hiver dernier, le comité de loisirs de Grande-Entrée, épaulé par de nombreux parents bénévoles, a décidé d'arracher les vieilles bandes de bois et de lancer une campagne de financement pour en acheter de nouvelles en aluminium.
Les bandes de la patinoire sont là depuis 2005 et elles sont vraiment maganées, il y a plein de trous, explique une membre du comité de loisirs, Mélina Bénard.
Le projet estimé à 60 000 $ témoigne également du dynamisme du village. On a maintenant assez de jeunes pour faire des équipes de hockey, lance fièrement l'enseignante Sandra Chevarie.
Le conseiller municipal Bernard Richard voit également dans l'initiative un symbole fort.
On voit vraiment qu’il y a un essor de la population à se prendre en main et de faire quelque chose.
Une citation deBernard Richard, conseiller municipal du district de Grande-Entrée
Malgré de nombreux signes positifs, tout n'est pas rose à Grande-Entrée. Le village a perdu de nombreux acquis durant les dernières années.
Desjardins a fermé son point de services en octobre 2024, ne laissant qu'un guichet sur place dont l'avenir n'est pas garanti.
Le village a aussi perdu son dépanneur et sa station-service, il y a quelques années. Les résidents doivent désormais se rendre à Grosse-Île pour faire le plein.
C’est un manque, surtout pour les personnes âgées, déplore le conseiller municipal Bernard Richard, également président du Club des 50 ans et plus.
Le Capitole de l'Est, un bâtiment municipal qui accueillait de nombreux organismes, a fermé ses portes en juillet 2022 pour cause de désuétude et d'insalubrité, laissant le village sans grande salle pour les activités sociales.
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Le maire des Îles-de-la-Madeleine admet qu'en raison de la complexité du dossier, un ouvrage de protection ne pourra pas être construit demain matin.
On parle d'investissements importants, de travaux majeurs pour protéger un site de cette ampleur, explique-t-il.Il y a des passages obligés en ce qui concerne la caractérisation des risques et les analyses en ingénierie.
Antonin Valiquette reconnaît toutefois que le retour des jeunes dans le village est un argument de taille pour motiver les troupes à préserver les acquis et assurer la vitalité de Grande-Entrée pour les prochaines générations.
C'est important pour un milieu d'avoir un cœur qui bat, d'avoir une communauté active, qui se développe et qui se renouvelle, affirme Antonin Valiquette. Grande-Entrée est un exemple criant. C'est encourageant, et il faut encourager ça.