
Loin de moi l’idée de me transformer en chroniqueuse économique, surtout dans un média où œuvre le rigoureux Francis Vailles. Il reste que je me suis intéressée au rapport du vérificateur général du Québec (VGQ), déposé à l’Assemblée nationale il y a quelques jours.
Un détail des reportages consacrés à ce rapport a retenu mon attention : le gouvernement évalue très mal les coûts associés au fait même de vieillir, sous-estimant ainsi les sommes requises pour assurer le maintien de services adéquats à la population.
Ce constat a été éclipsé par les autres conclusions du rapport : les faiblesses du plan de retour à l’équilibre budgétaire du ministre des Finances Eric Girard, ou encore les sommes manquant pour réaliser les projets prévus dans le Plan québécois des infrastructures. L’opposition libérale a d’ailleurs exploité ces éléments troublants en période des questions à l’Assemblée nationale cette semaine.
Mais le vieillissement m’a interpellée parce que cela démontre à nouveau que la démographie est un angle mort des prévisions gouvernementales. J’écris « à nouveau » parce que les enjeux migratoires ont longtemps été traités de la même façon : la planification des seuils d’immigration ne tenait compte que de l’immigration permanente. Les étudiants, les travailleurs temporaires ? Des gens de passage, qu’il ne valait donc pas la peine de recenser.
Cela a fini par soulever de vifs débats en 2023 tant l’écart était grand entre les données devant servir aux discussions sur la planification 2024-2027 de l’immigration au Québec et le nombre réel de gens venus d’ailleurs et qui étaient présents sur le territoire 1. On a enfin corrigé le tir cet automne. Pour la première fois, l’exercice de planification, couvrant maintenant la période 2026 à 2029, a été mené en jetant un regard global sur la situation.
Or, le vieillissement de la population est un phénomène encore plus prévisible : nous y passons tous ! Il en résulte des conséquences sur la dynamique sociale, les finances publiques et les services à offrir. Chacun n’aura pas la solide constitution de Janette Bertrand et d’Armand Vaillancourt, personnalités de l’année qui font la souriante une du plus récent numéro de L’actualité !
J’étais donc fort étonnée d’apprendre que le dernier budget caquiste ne tenait compte que partiellement de l’impact du vieillissement – une bien faible part, de surcroît, puisque le gouvernement y a associé des coûts annuels de 100 millions, là où le VGQ les estime à 600 millions !
Ce n’est pas faute de données. Les projections de l’Institut de la statistique du Québec, sur lesquelles s’appuie le VGQ, sont très claires : « la population de 75 ans et plus augmentera de 20 % d’ici cinq ans (2030), de 41 % d’ici 10 ans (2035) et de 56 % d’ici 15 ans (2040) ».
Un tournant majeur qui s’accompagne d’enjeux de santé propres à cette catégorie d’âge. Ce qui fait augmenter le besoin de services, eux-mêmes parfois plus coûteux que pour les plus jeunes. Un véritable effet domino.
Pourtant, le VGQ écrit : « [N]ous n’avons relevé qu’une seule hypothèse prenant en compte ces effets anticipés. Cette hypothèse concerne uniquement les activités de soins de santé physique (14,3 milliards) et elle n’a pas fait l’objet d’une réévaluation depuis au moins 2015. » C’est moi qui souligne tant je me pince de ce décalage de 10 ans !
Mais en matière de santé mentale et de politiques de soutien à l’autonomie des aînés, c’est pire : le gouvernement n’intègre tout simplement pas l’impact du vieillissement.
Le VGQ note d’ailleurs que si la croissance de la clientèle est prise en compte dans les budgets des ministères de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, il faudra bien se résoudre au même calcul pour « l’ensemble des activités des établissements de santé et de services sociaux ».
Pourquoi ne le fait-on pas ? (Se poser la question est en soi incroyable !) Dans sa réponse au VGQ, le Conseil du trésor dit que les coûts de reconduction des programmes gouvernementaux sont certes influencés par les variations de prix ou de population, mais qu’au bout du compte, il faut « respecter la capacité de payer du gouvernement ».
Autant dire que ne pas prévoir est une façon de ne pas voir ce qui se passe sur le terrain !
Il est d’autant plus facile d’ignorer le poids du vieillissement que nos sociétés reposent sur le culte de la jeunesse éternelle. Chez les individus, ne pas se voir vieux est une coquetterie, mais collectivement, cette légèreté nous met à risque de misère sociale.
Je préférerais qu’en matière de services, le gouvernement s’impose la discipline du Régime de rentes du Québec : une projection sur 50 ans de la viabilité du système en tenant compte d’une foule de facteurs, avec révision tous les trois ans. Le bien-être des gens vieillissants, ce n’est plus seulement une question d’argent.