Vieillir chez soi : tout le monde en rêve, mais tous n’y arrivent pas. Et contre toute attente, les plus fragiles ne quittent pas forcément leur domicile à un plus jeune âge que les plus instruits ou les mieux outillés, selon des chercheurs de l’Université McGill.
Les personnes les plus scolarisées ont moins de chances de vieillir chez elles. C’est l’un des constats les plus inattendus d’une étude publiée dans la revue Age and Ageing. Pourquoi ? Parce qu’elles ont souvent moins d’enfants, qui sont arrivés plus tard dans leur vie, ce qui se traduit par moins d’aidants naturels à proximité. Et comme les personnes plus instruites vivent plus longtemps, elles sont plus susceptibles d’avoir besoin de leur entourage éventuellement. Malgré leurs ressources, elles quittent leur domicile plus tôt que prévu. « Ce n’est vraiment pas ce à quoi on s’attendait », confie Clara Bolster-Foucault, doctorante en épidémiologie et coautrice de l’étude.
Vieillir chez soi ne veut pas forcément dire y être bien. « On peut aussi être pris chez soi par manque d’accès à d’autres options », rappelle Amélie Quesnel-Vallée, coautrice de l’étude et professeure à McGill, où elle est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les politiques et les inégalités de santé. Dans certains milieux ruraux, il n’y a ni CHSLD ni résidence adaptée. Alors on reste dans sa maison. À l’inverse, en ville, les options sont nombreuses, mais cela ne garantit pas une transition choisie. Parfois, une série de petites pressions mène au déménagement. Ce n’est pas une expulsion. Mais ce n’est pas toujours un vrai choix non plus.
Ce qui fait la différence, ce n’est ni le revenu ni l’état de santé. C’est le réseau. « Les gens qui ont des relations solides peuvent compter sur un filet de sécurité invisible, mais vital », notent les chercheuses de McGill. Un appel quotidien, un « lift » à l’hôpital ou chez la coiffeuse, une oreille attentive. C’est ce tissu social, souvent ignoré des politiques publiques, qui soutient vraiment le vieillissement à domicile. Sans lui, on glisse vite vers l’isolement… puis vers le déménagement en institution, avancent Amélie Quesnel-Vallée et Clara Bolster-Foucault.
Et si vieillir chez soi ne voulait pas dire « rester dans la même maison » ? L’étude invite à revoir le concept : le chez-soi pourrait être un lieu de continuité, pas nécessairement d’origine. « Ce sentiment peut évoluer », explique Mme Quesnel-Vallée. Encore faut-il des transitions souples, sans urgence ni rupture. Dans ce contexte, une résidence pour aînés pourrait devenir un nouveau « chez-soi », à condition d’avoir pu la choisir, de planifier son déménagement, et de s’y reconnaître.
Pour mener sa recherche, l’équipe a analysé 55 études menées dans des pays à revenu élevé, dont le Canada. Constat : les inégalités subsistent, même avec un système de santé qu’on dit universel. Ce n’est pas l’offre qui manque, mais l’accès réel aux soins à domicile, aux soutiens communautaires, à la planification. Les chercheuses veulent maintenant s’attarder au cas du Québec pour analyser les hospitalisations évitables et les admissions en soins de longue durée. Objectif ? Mieux comprendre ce qui pousse vraiment les aînés hors de chez eux.