Maisons des aînés 1,8 million la « porte » : j’hallucine ou quoi ?

Pour être plus précis : 1 783 333 $. C’est le coût de construction moyen de chaque chambre de la future maison des aînés (MDA) de Sainte-Élisabeth, un village situé près de Joliette, dans Lanaudière. L’équivalent d’une maison respectable à Mont-Royal, Boucherville ou Sillery. Pour une chambre en résidence !

Représentation de la future maison des aînés de Sainte-Élisabeth, qui inclut un bâtiment patrimonial, ILLUSTRATION FOURNIE PAR LE CISSS DE LANAUDIÈRE
May 8, 2025

La conversion d’un ancien couvent en MDA de 42 places a été plombée par les maux classiques des projets publics. Elle devait coûter 47,7 millions – 1,1 million par chambre –, mais son budget a été défoncé de 26,5 millions en cours de route.

Petite erreur de calcul. Oups.

La date prévue d’entrée en service est passée d’avril 2024 à juin 2026 entre-temps. Et le compteur tourne toujours…

Ce cas est extrême, mais pas isolé.

Le grand chantier des MDA, l’un des projets phares du gouvernement caquiste de François Legault, a toutes les apparences d’un gouffre financier.

On en a moins parlé ces derniers temps, alors que des scandales plus frais ont monopolisé l’attention médiatique. (Bonjour, hôpital Maisonneuve-Rosemont. Allô, SAAQclic. Coucou, décote de l’État québécois.)

Mais la journaliste du Devoir Marie-Michèle Sioui a eu la bonne idée de ramener le sujet dans l’actualité1. Son constat est aussi triste qu’inacceptable : la facture continue de grimper, tant pour les constructions neuves que pour les conversions d’anciens CHSLD en MDA.

Et l’éloignement géographique de certains chantiers n’explique pas tout, tant s’en faut. Des projets réalisés à Montréal font eux aussi sauter la caisse, avec des coûts moyens de 1,1 million par chambre.

Comment a-t-on pu en arriver là ?

Et pourquoi la facture est-elle à ce point exorbitante, alors que des projets assez semblables peuvent être réalisés au privé pour environ 300 000 $ la chambre ? (Vous avez bien lu.)

Les explications données par la Société québécoise des infrastructures (SQI), qui pilote le dossier, m’ont confirmé ceci : une bonne partie des dollars investis ne va pas dans la brique ni dans le mortier.

La SQI m’a fourni une ventilation des coûts de la MDA Jeanne-LeBer, en construction dans l’est de Montréal. La facture de cette résidence de 288 places est évaluée à 238 millions.

D’abord, le terrain est gratuit : il appartenait déjà au CIUSSS. Les travaux de construction coûteront 142 millions, ce qui inclut des équipements fixes spécialisés et médicaux.

Les « coûts externes » (conception, services professionnels en architecture et en ingénierie, plans et devis, études spécifiques, préconstruction, etc.) atteindront 41 millions. Et les frais de gestion de projet, de financement, les taxes et autres immobilisations goberont 54,8 millions du budget.

Autrement dit : presque 100 millions de dollars ne serviront pas à la construction elle-même, mais plutôt à absorber une multitude d’autres coûts.

Ce genre de frais connexes est incontournable pour n’importe quel chantier, privé ou public. Mais les experts à qui j’ai parlé sont unanimes : c’est beaucoup trop élevé dans le cas des MDA.

Désespérément élevé.

Bien sûr, construire une maison des aînés comporte son lot de particularités par rapport à un immeuble de logements classique.

Il y a une certaine quantité d’équipements spécialisés : des systèmes de ventilation sophistiqués pour éviter la propagation de virus, des rampes d’accès, des matériaux plus résistants sur la surface des murs, etc.

Les MDA comportent aussi des milieux de vie plus vastes que les anciens CHSLD déprimants. Donc : plus de pieds carrés à bâtir. Elles sont organisées en « maisonnées » (ou cellules) de 12 chambres, qui ont chacune une cuisine commune, une salle à manger, un salon. L’architecture est soignée, les matériaux sont nobles, alouette.

Mais lorsqu’on compare la facture des MDA avec celles de projets privés de nature équivalente, cela fait très mal au portefeuille collectif des contribuables.

Philippe Voyer, consultant et professeur titulaire de la faculté des sciences infirmières de l’Université Laval, a conseillé le gouvernement Legault dès la genèse des MDA. Il travaille aussi avec des groupes communautaires et des entreprises privées dans le domaine des soins gériatriques.

Une « abondante » littérature scientifique confirme les bienfaits des « maisonnées » pour la santé des personnes âgées, me dit-il d’emblée. Par exemple : une perte d’autonomie plus lente, une agitation moindre chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer, et une meilleure socialisation avec les membres de leur famille.

Ces bénéfices ont été sous-médiatisés, se désole-t-il, en raison du coût astronomique des MDA qui a monopolisé toute l’attention. Mais même cet expert est incapable de s’expliquer l’ampleur des factures.

Le concept [des MDA], je sais qu’il est viable, à des coûts beaucoup moins importants que ce que le gouvernement paie.

Philippe Voyer, professeur de l’Université Laval

M. Voyer m’a cité plusieurs exemples de résidences privées inspirées du concept de « maisonnées » des MDA. Des projets bâtis pendant la pandémie, en pleine période inflationniste. Leur facture moyenne est comprise entre 250 000 $ et 300 000 $ la chambre. Du simple au double (ou au quintuple).

L’un d’eux est le CHSLD Manoir Harwood, situé à Vaudreuil-Dorion, en banlieue ouest de Montréal.

C’est un projet de conversion d’un ancien CHSLD, auquel 114 nouvelles chambres ont été ajoutées, pour un total de 150 places. Le chantier a été lancé en 2019, puis interrompu à cause de la pandémie, avant de redémarrer pour se conclure deux ans plus tard.

Un CHSLD privé conventionné

La résidence reproduit le modèle des MDA, avec des cellules de neuf chambres aménagées autour d’installations communes. Tout est « au code », bien que les standards de finition soient un peu moins élevés que ceux imposés par la SQI, me dit son propriétaire, Jean-François Blanchard.

« Je me dis que oui, vous pouvez avoir une Mercedes, mais vous pouvez aussi très bien vous rendre du point A au point B en Volkswagen. »

Coût total du chantier, tout compris : 42 millions. L’équivalent de 280 000 $ par chambre. Le projet coûterait aujourd’hui environ 350 000 $ par chambre à construire, avance M. Blanchard.

Un pas pire deal, d’autant plus que cette résidence a été convertie en CHSLD privé conventionné.

En entrevue avec Le Devoir, la ministre responsable des Aînés, Sonia Bélanger, s’est dite « étonnée » par le coût de construction élevé des MDA. Elle va « examiner tout ça » et étudier chaque projet à venir, a-t-elle promis. Mais « on ne fera pas des maisons des aînés à 1,8 million la porte ».

(Note à la ministre : trop tard.)

Dans une série d’échanges courriel, la SQI a défendu la facture élevée des MDA. Le coût moyen a été d’environ 800 000 $ par porte jusqu’ici, m’a-t-on fait valoir. Plus de 2 milliards au total.

(Note à la SQI : c’est loin d’être une aubaine.)

Petite touche d’espoir au tableau : Québec est en train de revoir son modèle financier. L’État compte recourir à la préfabrication et à d’autres techniques pour réduire les coûts.

Cette prise de conscience arrive très tard et mon degré de confiance est assez bas. À l’inverse du prix des MDA.

https://www.lapresse.ca/actualites/chroniques/2025-05-08/maisons-des-aines/1-8-million-la-porte-j-hallucine-ou-quoi.phpLes Maisons Des Aînés